Ou comment un choix cornélien peut se transformer en drame shakespearien.

Être témoin d’une situation d’urgence en contexte hostile pose immédiatement un dilemme : intervenir pour secourir une victime ou attendre que la situation se stabilise afin d’éviter d’aggraver les risques ? En secours tactique, cette décision repose sur une évaluation rapide et rigoureuse du danger. L’algorithme SAFE (Stop the burning process, Assess the scene, Free of danger, Evaluate) est le premier filtre permettant d’éviter qu’un secouriste ne devienne lui-même une victime. Pourtant, dans le chaos d’une situation critique, son application peut s’avérer délicate.

1. L’algorithme SAFE : avant tout une grille d’analyse

Le rôle du SAFE dans l’évaluation de la situation

L’algorithme SAFE est la première étape du protocole SAFE-MARCHE-RYAN utilisé en secours tactique. Il vise à structurer la décision d’engagement en identifiant les menaces et les opportunités d’intervention sans ajouter de nouvelles victimes à la situation.

  1. S – Stop the burning process : neutraliser la menace si possible ou attendre qu’elle ne soit plus active.
  2. A – Assess the scene : observer et analyser la scène pour identifier les dangers résiduels.
  3. F – Free of danger : s’assurer que l’environnement immédiat est sûr avant d’avancer.
  4. E – Evaluate : évaluer l’état des victimes pour prioriser les soins et les extractions.

Les difficultés d’application du SAFE

Même avec un protocole clair, appliquer SAFE dans un contexte dynamique et stressant reste complexe. Plusieurs facteurs compliquent cette évaluation :

  • L’effet tunnel, qui limite la perception de la scène et peut fausser l’appréciation des risques.
  • La pression du temps, qui pousse à agir précipitamment sans analyser tous les paramètres.
  • L’évolution rapide de la menace, avec des situations qui peuvent basculer en quelques secondes.
illustration par dereck carrillo, photo de deux soldats ukrainiens

2. Les conséquences d’une mauvaise évaluation

Intervenir trop tôt : un risque pour le secouriste et les victimes

Un engagement prématuré peut exposer le secouriste à la menace initiale et compliquer la gestion globale de la situation. Les retours d’expérience en intervention, notamment dans les attaques terroristes récentes en milieu urbain, montrent que des secouristes improvisés ont parfois été pris pour cibles en tentant d’extraire des blessés trop tôt.

L’inaction quand une intervention était possible

À l’inverse, une évaluation trop prudente peut empêcher une intervention qui aurait pu sauver des vies. Dans certaines situations, les premières minutes sont déterminantes, notamment pour les victimes d’hémorragies massives. Savoir distinguer un risque acceptable d’un danger mortel est donc un élément clé de la prise de décision.

  1. Attentat du Bataclan (2015) : les forces d’intervention ont dû attendre avant d’extraire les blessés pour éviter d’aggraver le bilan.
  2. Explosion de Beyrouth (2020) : de nombreux civils ont tenté de porter secours immédiatement après la première détonation, s’exposant à des effondrements et à la seconde explosion.

3. Améliorer son évaluation SAFE

L’OLADA : une aide à la prise de décision sous stress

L’algorithme SAFE peut être renforcé par l’application de la boucle OLADA (Observer, Localiser, Analyser, Décider, Agir). Ce modèle d’aide à la décision permet d’éviter les actions précipitées et d’adapter sa réponse à l’évolution de la situation.

Techniques pour réduire les risques

  • Favoriser une approche en binôme : une deuxième paire d’yeux permet d’éviter les erreurs d’évaluation.
  • Utiliser les principes de distance, couverture, mouvement : limiter son exposition aux menaces tout en restant efficace.
  • Pratiquer régulièrement des simulations sous stress : la répétition en conditions réalistes améliore la prise de décision sous pression.

Retour d’expérience et formation continue

Chaque intervention doit être suivie d’un débriefing pour identifier les points à améliorer. La formation continue, intégrant des études de cas et des exercices immersifs, est une des meilleures méthodes pour renforcer la capacité d’évaluation SAFE et éviter les erreurs.

Pour finir

La décision d’intervenir en secours tactique repose sur une évaluation rapide et rigoureuse des risques à l’aide de l’algorithme SAFE. Une mauvaise interprétation de la situation peut avoir des conséquences graves, tant pour le secouriste que pour les victimes. L’entraînement et l’application de modèles décisionnels comme OLADA permettent d’améliorer cette capacité d’analyse et d’intervention. Finalement, savoir quand ne pas s’engager est tout aussi important que savoir intervenir efficacement.